Nicolas Akladios: Quel est votre rapport aux jeux vidéo et dans quelle mesure sont-ils une source de réflexion dans vos ouvrages?
Serge Tisseron: Ayant grandi au milieu des images, j’ai toujours été intéressé par les relations que nous entretenons avec elles. Mon premier ouvrage « Tintin chez le psychanalyste » a été la porte d’entrée à ma double orientation d’écrivain concerné par les secrets et les images (par extension les jeux vidéo). Au début des années 80, je fus le premier psychiatre, en France, à m’intéresser aux jeux vidéo.
NA: D’après vous, à quoi est lié le succès grandissant des jeux vidéo?
ST: Si l’humain invente des images c’est pour objectiver ses propres représentations, élaborées la nuit dans ses rêves. L’idéal recherché consiste à créer des images dans lesquelles il puisse entrer. Ce phénomène explique l’intérêt notamment pour la perspective, le trompe-l’œil, la photographie en relief et autres techniques similaires. Or les jeux vidéo offrent cette illusion d’entrer dans une image qui plus est interactive. L’humain est naturellement attiré par ces images dans lesquelles il peut se projeter et évoluer. Ceci comporte le risque d’un désintérêt du reste, du vrai monde. Les craintes excessives qui entourent actuellement le jeu vidéo sont liées inconsciemment à la crainte que le joueur ne puisse plus sortir de son jeu, de son rêve. C’est pour cela qu’il existe des cordes de rappel et qu’un jeu ne peut être joué en continu (il y des temps de chargement d’un niveau à l’autre, des pauses pour sauvegarder, parfois des bugs, etc.).
NA:Le culte de la performance dans notre société explique-t-il le besoin pour certains de s’affermir et de réussir dans les jeux?
ST: Se réaliser est capital pour chacun et être le meilleur important pour les garçons. Il faut reconnaître pourtant que le jeu vidéo est une parodie de performance sans impact sur la réalité. A noter que les jeux en ligne ont introduit l’importance de la collaboration à plusieurs par opposition au modèle traditionnel de la compétition solitaire contre l’ordinateur.
NA: Le jeu vidéo est-il une fuite de la réalité ou un simple divertissement?
ST: A vrai dire, c’est selon l’usage qu’en fait chacun. Un doom-like (ndlr: jeu de tir à la première personne) permet d’investir son agressivité dans des actions sans conséquence. La dépendance est fonction de la personnalité et de l’environnement de chacun, de la même manière qu’il y a chez certains collectionneurs une dépendance aux timbres, aux tableaux ou aux voitures. Mais ceci reste une exception.
NA: Peut-on attribuer l’influence d’actes criminels ou répréhensibles aux jeux vidéo?
ST: La personnalité de chacun transparaît à travers sa façon de jouer (comportements agressifs ou défensifs, etc.). La conséquence d’un jeu vidéo est d’enrichir nos scénarios intérieurs. Pour inspirer une action dans la réalité, il faut qu’il y ait une rencontre entre un scénario d’images et un désir qui lui préexiste chez le joueur. Si ce n’est le jeu vidéo, ce sera un film, la télévision ou même un tableau qui fourniront le scénario à ce désir qui n’attendait qu’à se réaliser.
NA: Dans votre ouvrage «les bienfaits des images» vous mentionnez les effets de la censure et du contrôle sur les jeux vidéo?
ST: Il est important que les parents ne confondent pas les images avec la réalité. Après les soldats de plombs, leurs enfants s’amusent maintenant avec des soldats de pixel. Le jeux vidéo est une métaphore que les adultes doivent s’appliquer à ne pas dé-métaphoriser. Ils doivent au contraire s’y intéresser et en parler avec leurs enfants en les valorisant pour leurs aspects positifs comme l’astuce, l’habileté et le travail en collaboration.
NA: Les jeux vidéo ont-ils un rôle éducatif?
ST: Les joueurs y apprennent beaucoup de choses à leur insu (repères historiques, noms de villes, personnages célèbres, etc.). Malheureusement ces références sont souvent erronées et ne correspondent pas à la réalité. Les jeux de pure fiction sont plus honnêtes, et le risque réside dans ceux qui se prétendent éducatifs sans l’être. Dans un autre registre, un jeu comme les « Sims» (ndlr: le joueur contrôle la vie de personnages dans un monde relativement réaliste) invite à apprendre à consommer, mais les concepts de pollution ou de responsabilité sociale ne sont pas abordés.
NA: Peut-on considérer les jeux vidéo comme une thérapie?
ST: Les jeux vidéo peuvent être auto-thérapeutiques de deux façons. D’une part, ils permettent au joueur d’apprendre à surmonter l’échec auquel chacun est confronté en cours de partie, et d’autre part ils objectivent le monde intérieur du joueur. Mais ces potentialités ne deviennent vraiment thérapeutiques que si elles sont prises en relais et socialisées dans des relations avec des pairs.
- Nicolas Akladios
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